Tout comme dans la plupart des pays occidentaux, le secteur de la santé mentale pour enfants et adolescents est confronté à de nombreux problèmes, sans qu’il n’existe une vision claire quant aux solutions à apporter. Le Centre Fédéral d’Expertise des Soins de Santé a dressé le tableau de la problématique en collaboration avec le bureau d’étude ShiftN et a formulé 10 recommandations pour réformer le secteur. Il se base, entre autres, sur l’apport de 66 acteurs différents du secteur. Des pédopsychiatres et des psychologues, des médecins généralistes et des pédiatres, mais aussi des enseignants, des professionnels de l’aide sociale, de l’aide à la jeunesse et du secteur des personnes handicapées ainsi des représentants des associations de patients se sont réunis à plusieurs reprises, avec un encadrement professionnel au niveau de la méthodologie. Une première dans le secteur, et une initiative qui doit à présent se traduire dans des actions concrètes.
La moitié des problèmes mentaux commence avant 14 ans
Selon l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé), approximativement 1 enfant ou adolescent sur 5 se débat avec des problèmes mentaux dans nos pays occidentaux. Environ 1 sur 20 aurait besoin d’une prise en charge clinique. La moitié des problèmes mentaux auxquels doivent faire face les adultes commence avant l’âge de 14 ans. Il est donc essentiel d’aider à temps l’enfant ou l’adolescent souffrant de problèmes mentaux.
Le nœud du problème : une grande fragmentation
Tout comme dans la plupart des pays occidentaux, le secteur de la santé mentale pour les enfants et adolescents en Belgique doit faire face à de nombreux problèmes, sans qu’il n’existe une vision claire quant aux solutions à apporter. Les listes d’attente sont longues et la demande ne cesse d’augmenter. Le secteur est très fragmenté en raison de la grande diversité des personnes et des services impliqués. Un nombre d’initiatives de réforme se sont soldées par des échecs et ont conduit à une certaine méfiance. Le KCE a été chargé de faire le point et de formuler des propositions de réforme du système.
Une première : l’écoute méthodique des stakeholders
Les chercheurs ont réuni plusieurs fois 66 stakeholders différents. Les participants ne venaient pas seulement du secteur de la psychiatrie ou de la santé mentale, mais également du milieu de l’enseignement, de l’aide sociale, de l’aide à la jeunesse, du secteur des handicapés et des associations de patients. Leur apport au cours d’ateliers et de tables rondes, a été traité selon une méthodologie rigoureuse. Il s’agit d’une première dans le domaine.
Le Dr. Eric Schoentjes, Chef du département de pédopsychiatrie de l’UZ Gent a participé au processus:
“Le projet a donné naissance à de nouvelles perspectives, surtout grâce à son approche par étapes. Ont grandement contribué au succès de l’opération, la diversité des participants, leur expérience professionnelle et le fait qu’ils s’exprimaient sans nécessairement tenir compte de leurs intérêts ou de préjugés, dans la mesure où le projet n’avait de conséquences immédiates ni pour eux ni pour leur organisation.”
L’apport des stakeholders a aussi été complété par celui de la littérature scientifique existante. Les chercheurs ont finalement pu aboutir à 10 grandes recommandations de réforme du système de soins de santé mentale pour les enfants et les adolescents.
Le plus urgent : un accueil de crise renforcé et une orientation correcte
C’est surtout un accueil de crise renforcé qui est très urgent. Il faudrait un point de contact central accessible de manière continue, ne refusant aucun enfant ou adolescent. Pour les interventions urgentes, des équipes multidisciplinaires mobiles, établies au niveau régional, communiquant entre elles, pourraient aider l’enfant dans son propre environnement. En outre, un certain nombre de places en centres de jour et en hôpital devraient être réservées à l’admission de crise.
Il y a aussi le problème du peu de cohérence dans l’orientation vers les services spécialisés. On a un peu l’impression qu’un jeune qui reçoit l’aide adéquate a eu de la chance, alors qu’une orientation correcte devrait être évidente. Ceux qui sont les premiers confrontés aux problèmes mentaux des jeunes, dans les milieux comme l’école, les services d’aide à la jeunesse, la police, etc. doivent recevoir une formation de base afin d’identifier les problèmes psychiques chez les jeunes et de mieux s’y retrouver dans le secteur complexe des soins de santé mentale. La formation des médecins généralistes doit également accorder plus d’attention à la pédopsychiatrie.
La prévention diminue les problèmes mentaux à long terme
Les stakeholders étaient convaincus que la prévention, le dépistage et une intervention précoce diminuent le nombre de problèmes de santé mentale à un âge plus avancé. Les médecins généralistes, les organisations telles que l’ONE (Office de la Naissance et de l’Enfance) et les centres PMS-PSE peuvent jouer un grand rôle à cet égard, si leurs compétences sont renforcées.
Claire Kagan, directrice du centre PMS de Woluwé et participante :
«Nous avons aussi à renforcer nos activités collectives non stigmatisantes de prévention afin de développer la capacité des enfants et adolescents et leurs familles à recourir à des services d’aide appropriés, et ce dans leur environnement immédiat (école, quartier) .»
Les jeunes souffrant de problèmes mentaux sévères et multiples: le groupe ‘oublié’
Il y a aussi les jeunes souffrant de problèmes sévères et multiples qui présentent des troubles du comportement lourds ou parfois même des comportements violents. Certains d’entre eux ne cherchent pas de traitement voire même l’évitent. Les stakeholders les ont appelés le groupe ‘oublié’. Lorsqu’ils aboutissent finalement dans une institution de soins, ils deviennent vite les ‘moutons noirs’ transférés d’institution en institution. Pour ce groupe, des soins multidisciplinaires, mobiles, personnalisés dans leur propre milieu de vie, peuvent représenter une solution. Il existe bien certaines initiatives locales, mais elles restent à trop petite échelle. Pour ces jeunes, des formes de coopération et de prestations de service doivent être développées à une plus grande échelle, avec l’encadrement et les moyens nécessaires.
Quelles sont les possibilités en ces temps de restriction budgétaire?
La Conférence Interministérielle de la Santé peut prendre l’initiative de faire traduire une série de recommandations du rapport KCE en un plan d’action concret. Les innovations en provenance de la base et une approche fondée sur les données probantes scientifiques doivent être stimulées et récompensées. Par ailleurs, les acteurs du secteur doivent continuer à échanger et à construire des formes de coopération entre eux.
Dr. Eric Schoentjes:
“Nous sommes maintenant encore plus conscients qu’une bonne collaboration et une concertation avec les autres acteurs de notre région sont très importantes pour mieux aiguiller l’offre d’aide existante vers les enfants et leur famille.”
La réforme du système complexe des soins de santé mentale demandera en tout cas beaucoup de temps.