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Patriek Mistiaen, Sabine Stordeur, Dominique Roberfroid, Dominique Paulus
L’approche médicamenteuse est l’une des nombreuses options permettant de traiter les personnes aux prises avec une consommation d’alcool excessive. L’agence américaine AHRQ (Agency for Healthcare Research and Quality) a réalisé une revue de la littérature sur l’efficacité d’un ensemble de médicaments couramment prescrits pour cette indication.
Les chercheurs ont montré que l'acamprosate et la naltrexone orale exercent une influence sur la consommation elle-même et sur le risque de rechute après une période d’abstinence. La naltrexone diminue également le risque de retour à une consommation élevée, mais au prix d’effets secondaires plus nombreux. Des effets positifs sur la santé à long terme n’ont toutefois pas été établis.
Pour la plupart des médicaments prescrits hors autorisation de mise sur le marché (off-label), parmi lesquels le Baclofène, soit les preuves sont insuffisantes pour démontrer qu’ils entraînent une diminution de la consommation, soit les preuves disponibles suggèrent qu’ils sont inefficaces.
1. Consommation abusive d’alcool
Les troubles liés à la consommation abusive d'alcool constituent un fléau mondial. En Belgique, l'Association flamande pour les problèmes liés à l’alcool et autres drogues (VAD)1 estime qu'environ 5-7 % de la population belge adulte présente des habitudes de consommation problématiques (définies par l’OMS comme une consommation moyenne régulière ≥ 40 g d’alcool par jour pour les femmes et ≥ 60 g pour les hommes). Rehm et al.2 déclarent qu'en Belgique, 1,9 % des femmes et 5,4 % des hommes âgés de 18 à 64 ans présentent une dépendance à l'alcool.
La consommation abusive d'alcool a des répercussions importantes sur la santé et est une cause importante de morbidité et de mortalité. D'après un récent rapport de l'OMS,3 la consommation excessive d'alcool intervient dans la survenue de plus de 200 types de traumatismes et maladies, incluant la cirrhose du foie et certains cancers. On estime qu'un décès sur 7 chez les hommes et un décès sur 13 chez les femmes peuvent être attribués à la consommation d'alcool.4
Un traitement adéquat peut réduire les dommages et la mortalité causés par l'alcool. Néanmoins, seules 10 % des personnes présentant une dépendance à l'alcool seraient traitées pour ce problème.2, 5
Le KCE conduit actuellement une étude incluant des patients et des professionnels de la santé pour comprendre les raisons de ce faible taux de prise en charge des personnes souffrant de problèmes liés à une consommation abusive d’alcool et déterminer les mesures qui permettraient d'accroître le nombre de personnes traitées (Etude 2014-02 (HSR) Comment améliorer le taux de prise en charge des personnes présentant un problème lié à l’alcool ?).
2. Effets de la pharmacothérapie sur la consommation abusive d’alcool
Aujourd'hui, l’éventail des médicaments disponibles s’est élargi. Quatre médicaments sont enregistrés en Belgique pour cette indication : disulfiram (Antabuse®), acamprosate (Campral®), naltrexone (Nalorex®) et nalméfène (Selincro®) (Aux Etats-Unis, ce dernier médicament n’a pas été approuvé par la « Food and Drug Administration» ; aussi la revue de littérature présentée ci-dessous considère le nalméfène comme un produit « hors autorisation»).
De nombreux autres médicaments sont prescrits pour traiter la dépendance alcoolique, tout en étant « hors autorisation pour cette indication » : des antidépresseurs, des normothymiques (régulateurs de l’humeur), des anticonvulsivants, des alphabloquants, des antipsychotiques et des anxiolytiques. Depuis quelques années s’y ajoute la prescription de Baclofène (myorelaxant) qui a été largement médiatisée, notamment en France.
En mai 2014, l'Agency for Healthcare Research and Quality (AHRQ) aux États-Unis a publié un rapport6 sur les avantages et les inconvénients des options pharmacologiques pour les adultes aux prises avec une consommation excessive d'alcool (soins ambulatoires). Plus de 25 médicaments différents ont été évalués. Outre ce rapport de 447 pages, un bref compte-rendu de la revue systématique de littérature a été publié sous forme d'un article de 12 pages dans le JAMA.7
Cette publication du JAMA couvre un nombre plus restreint de questions de recherche que le rapport de l'AHRQ et se base sur 123 des 135 études initialement incluses. La plupart des patients suivis répondaient aux critères de dépendance à l'alcool et leur âge moyen variait entre 40 et 50 ans. En général, les études incluaient des mesures d’accompagnement psychosocial. Les données issues d’études scientifiques restent rares pour le domaine des soins de santé primaire.
La qualité de cette publication, évaluée par les chercheurs du KCE au moyen de l'outil AMSTAR a obtenu un score de 11/11.
Le résumé ci-dessous porte principalement sur les quatre médicaments qui sont enregistrés en Belgique pour le traitement des problèmes liées à l’alcool.
Effets des médicaments sur la santé
Les preuves directes étaient trop peu nombreuses pour confirmer l’efficacité des traitements pharmacologiques sur les résultats en termes de santé.
Effets des médicaments sur la consommation d’alcool
Les études scientifiques indiquent que les médicaments utilisés pour traiter la dépendance à l’alcool exercent une influence sur la consommation elle-même et sur le risque de rechute après une période d’abstinence.
Acamprosate (Campral®) et naltrexone (Nalorex®)
Les deux médicaments les plus fréquemment évalués étaient l'acamprosate (Campral®) (27 études, n=7 519 patients) et la naltrexone (Nalorex®) (53 études, n=9 140 patients), prescrits séparément ou en combinaison.
Par rapport au placebo, les deux médicaments améliorent certains résultats en termes de consommation d’alcool, avec une mesure au moins 12 semaines après le début du traitement (niveau de preuve modéré) :
- l’acamprosate et la naltrexone réduisent le taux de rechute, quel que soit le niveau de consommation (le nombre de sujets à traiter -NNT en anglais- pour éviter la rechute chez une personne était de 12 [IC de 95%, 8 à 26] pour l'acamprosate et de 20 [IC de 95%, 11 à 500] pour la naltrexone orale (50 mg/jour)) ;
- la naltrexone orale (50 mg/jour) réduit le risque de reprise d'une consommation élevée (NNT=12 [IC de 95 %, 8 à 26]) tandis que l'acamprosate ne réduit pas ce risque de rechute.
Les méta-analyses des essais cliniques comparatifs directs comparant l'acamprosate et la naltrexone n'ont toutefois mis en évidence aucune différence d’efficacité qui pourrait indiquer qu’un médicament est supérieur à l’autre pour éviter les rechutes (consommation quelconque ou élevée).
Disulfiram (Antabuse®)
Les données issues d'essais bien contrôlés ne confirment pas l'efficacité du disulfiram (Antabuse®), quel que soit le résultat de consommation étudié, sauf peut-être chez les patients montrant une excellente adhérence au traitement.
Médicaments utilisés aux Etats-Unis « hors autorisation »
Des études randomisées, contrôlées par placebo, indiquent que le nalméfène (Selincro®), accepté en Belgique pour le traitement de la consommation abusive d’alcool, améliore certains résultats (niveau de preuve modéré). Une réduction du pourcentage de jours de consommation élevée par mois a ainsi été constatée. Toutefois, la différence entre les deux groupes (nalméfène vs. placebo) était inférieure à 2 jours par mois de consommation élevée d’alcool (Différence de Moyenne Pondérée = -2,0 ; IC de 95%, -3,0 à -1,0).
Pour la plupart des autres médicaments utilisés en dehors des indications de l’Autorisation de Mise sur le Marché, soit les preuves disponibles étaient insuffisantes pour confirmer l’efficacité des médicaments sur la réduction de la consommation d’alcool, soit les preuves disponibles suggéraient l'absence d'effet de ces médicaments sur la consommation.
Pour le Baclofène en particulier, les auteurs concluent que le niveau de preuve pour tous les résultats considérés est insuffisant (seuls 2 essais cliniques, conduits sur petits échantillons, répondaient aux critères d’inclusion).
Effets indésirables des médicaments
Pour étudier les effets indésirables des médicaments, les études randomisées, contrôlées par placebo, indiquent que par comparaison avec le groupe ‘placebo’,
- les patients traités par acamprosate avaient un risque plus élevé d'anxiété, de diarrhée et de vomissements ;
- les patients traités par naltrexone avaient un risque plus élevé d'étourdissements, de nausées et de vomissements. Le nombre nécessaire pour nuire (c.-à-d. entraînant un retrait du patient des essais cliniques pour cause d'événements indésirables) était de 48 [IC de 95 %, 30 à 112] ;
- les patients traités par nalméfène étaient exposés à un risque plus important d'étourdissements, de céphalées, d'insomnies, de nausées et de vomissements. Le nombre nécessaire pour nuire était de 12 [IC de 95 %, 7 à 50].
3. Conclusions de la revue et implications pour la pratique en Belgique
L'acamprosate, la naltrexone orale et le nalméfène peuvent réduire significativement la consommation d'alcool (après 12 semaines) chez les patients souffrant de troubles liés à la consommation d'alcool. Ces médicaments sont habituellement utilisés dans les études en combinaison avec de la psychothérapie. Les essais comparatifs n'ont pas permis d'établir la supériorité systématique de l'un de ces médicaments.
D'autres facteurs pourraient donc orienter le choix du prescripteur vers l’une ou l’autre molécule : la fréquence d'administration, les avantages respectifs, les événements indésirables potentiels, les symptômes coexistants, la prise concomitante d’autres médicaments (p. ex., opioïdes), les contre-indications (p. ex., insuffisance rénale, hépatite aiguë, insuffisance hépatique) et le coût du traitement.
4. Références bibliographiques
1. Mobius D. Dossier Alcohol. Brussel: VAD, Vereniging voor Alcohol- en andere Drugproblemen; 2009.
2. Rehm J, Shield KD, Rehm MX, Gmel G, Frick U. Alcohol Consumption, Alcohol Dependence, and Attributable Burden of Disease in Europe: Potential Gains from Effective Interventions for Alcohol Dependence. Toronto: Centre for Addiction and Mental Health;; 2012.
3. World Health Organization. Global status report on alcohol and health – 2014. Geneva: 2014.
4. Rehm J, Shield KD, Gmel G, Rehm MX, Frick U. Modeling the impact of alcohol dependence on mortality burden and the effect of available treatment interventions in the European Union. Eur Neuropsychopharmacol. 2013;23(2):89-97.
5. Alonso J, Angermeyer MC, Bernert S, Bruffaerts R, Brugha TS, Bryson H, et al. Use of mental health services in Europe: results from the European Study of the Epidemiology of Mental Disorders (ESEMeD) project. Acta Psychiatr Scand Suppl. 2004(420):47-54.
6. Jonas DE, Amick HR, Feltner C, Bobashev G, Thomas K, Wines R, et al. Pharmacotherapy for Adults With Alcohol-Use Disorders in Outpatient Settings. Comparative Effectiveness Review No. 134. . Rockville (MD): Agency for Healthcare Research and Quality (US); 2014.
7. Jonas DE, Amick HR, Feltner C, Bobashev G, Thomas K, Wines R, et al. Pharmacotherapy for adults with alcohol use disorders in outpatient settings: a systematic review and meta-analysis. JAMA. 2014;311(18):1889-900.
Définitions des niveaux de force globale de la preuve |
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Niveau |
Définition |
Élevé |
Confiance élevée que la preuve reflète un effet réel. Il est très peu probable que des recherches supplémentaires modifient notre confiance dans l'estimation de l'effet. |
Modéré |
Confiance modérée que la preuve reflète un effet réel. Il est possible que des recherches supplémentaires modifient notre confiance dans l'estimation de l'effet et modifient l'estimation. |
Faible |
Confiance limitée que la preuve reflète un effet réel. Il est probable que des recherches supplémentaires modifient notre confiance dans l'estimation de l'effet et modifient l'estimation. |
Insuffisant |
Il n'existe pas de preuve ou la preuve ne permet pas d'estimer un effet. |
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La publication originale a été évaluée et mise en perspective dans le contexte belge par des chercheurs du KCE. Le KCE has read for you n’est pas basé sur une recherche originale conduite par le KCE.
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